“Je trouvais toujours mieux à faire que d’écouter.”

Loin des codes sociaux et tout ce qui peut dicter son avenir, Elsa révèle un parcours atypique qui l’affirme aujourd’hui en tant qu’artiste créative indépendante.  Femme du Sud et mannequin à ses heures perdues, Elsa se reconnait avant tout dans la création manuelle mêlant la peinture à la sculpture. Une artiste aux oeuvres inspirantes à découvrir.

Peux-tu te présenter et raconter un peu ton parcours? 

J’ai un parcours assez atypique je dois dire. J’ai su, depuis toujours, ce que je voulais faire de ma vie. Depuis petite je suis attirée par les mêmes choses dont je suis encore proche aujourd’hui. Ce désir de production m’a pas mal repoussé de toutes les obligations scolaires auxquelles nous sommes confrontés dès le jeune âge.

J’étais très loin de l’aspect conventionnel de l’école, j’ai eu de ce fait une éducation créative, avec des parents créatifs qui ne m’ont jamais cloisonné dans une idée préconçue de l’avenir. J’ai toujours appris plus vite par moi-même plutôt que par l’enseignement scolaire. J’explorais à ma manière ce qui pouvait me donner plus de possibilités de création, passant par l’inspiration. Je me suis toujours sentie créative et souhaitais de toutes mes forces développer mon émotivité par ma créativité.

Je ne me sentais pas capable de faire quoi que ce soit d’autre, je suis quelqu’un d’assez solitaire, et je souffrais pas mal de ne me pas me sentir à ma place à l’école plus jeune, et cette solitude m’a poussé dans mes retranchements. Je suis chanceuse d’avoir su très jeune ce que je voulais faire, ne restait plus qu’à savoir comment.

J’ai arrêté l’école dès que j’ai pu, suite à une proposition de mannequinat. C’est un truc qui n’a pas vraiment fonctionné non plus, je suis retombée dans cette phobie de la « contrainte ». On m’a demandé de rentrer dans un moule, une seconde fois, ce qui ne m’a pas convenu.

J’ai ensuite eu ma marque de bijou, j’ai fait de la joaillerie dans une école à Marseille.
Je reprenais le mannequinat de temps en temps parce qu’il faut dire que ça m’a pas mal servi pour mes premières inspirations (cf. femme sculpture).

J’ai également travaillé avec mes parents dans une production de fruits et légumes, un rapport à la nature que je n’ai jamais vraiment quitté. Et là, je vis à Paris.

Le sud de la France a-t-il un impact particulier sur ta façon de créer?

Définitivement oui, pas sur ma façon de créer, mais plus sur mon envie et mon besoin de créer. J’ai besoin du sud pour créer, besoin de nature et quand je n’y suis plus, je ne suis pas bien. Je ne peux pas être dans un endroit clos, c’est trop anxiogène pour moi (ça revient un peu à ce que je disais sur ma scolarité en fait). Je me pose des questions existentielles dans le sud, quand je regarde l’infini du ciel, les nuances de l’eau, je m’angoisse, seule, mais je me sens vivante.

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Je pense que l’on a du mal à quitter le sud quand on y vient, qu’il est pour nous une forme de cocon. Est-il une sorte de métaphore à ceux que tu créés à travers tes coquilles?

De manière évidente oui, j’adore voyager mais, à chaque fois, j’ai beau partir à l’autre bout du monde, je ne me verrai pas mieux ailleurs. Il y a tellement de variété de paysages, allant de la mer aux montagnes passant par des champs. C’est un coin très varié sur un étendu assez petit finalement.

J’ai voyagé en Afrique, sûrement l’endroit qui m’a le plus marqué. Je m’y suis sentie hyper bien, proche de ces terres arides, ça m’a fait vibrer, tu t’y sens vite chez toi. Ces endroits naturels sans trop de civilisation, j’en ai besoin. Je m’étouffe à Paris.

Tu as commencé par la peinture, représentant l’abstrait tout en évoquant un paysage certain. Comment es-tu passée de la peinture à la sculpture?

En fait, je n’ai pas commencé par la peinture. C’est une énorme parenthèse à mon art, mais j’ai commencé, et j’ai toujours fait de la sculpture. Les gens voient de l’abstrait dans mes toiles, mais il n’y en a pas, selon moi. La peinture est infinie, le seul moment où elle me semble logique, j’arrête et je l’estime terminée. Si, à un moment, elle me plaît mais que quelque chose me dérange, j’arrête. Je ne veux surtout pas continuer afin qu’elle soit parfaite, ça ne m’intéresse pas. Il faut qu’il y ait un équilibre parfait à mes yeux mais si je continue, je la détruis. Je ne veux pas aller trop loin. Il y a du relief dans mes toiles, et elles ne sont finalement pas si loin de mes sculptures dans la démarche.

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On observe des coulures de peinture, allant de l’acrylique à l’huile, des couleurs à la fois tranchantes et pastels, ainsi que des verticales mêlées à l’horizon. Que souhaites-tu représenter à travers cela?

Des sentiments. Mes sentiments, face à la nature. J’essaie de récréer ce qui me touche le plus, par l’émotion que ça me procure. À travers le besoin de nature, je veux en montrer sa beauté. Les pigments du sable, la terre broyée, l’érosion. Ça fait parti de mon art. C’est ce que je vois que je veux représenter, tout simplement. Et en particulier la dégradation des choses que je souhaite mettre en avant d’une manière poétique, la peinture et l’assemblage. Tout m’inspire, une bouche d’égout, un trottoir un peu tordu, toutes ces choses qui ont du vécu et qui ont été dégradées par le temps. C’est ce qui ressort sur mes toiles. Ce que je fais en peinture est de récréer ce qui existe déjà, travailler les matières jusqu’à les rendre vivantes. En fait, mes toiles bougent, je ne veux pas qu’elles soient figées. Il arrive que des bouts de sables tombent, ou qu’un pigment change, ça fait parti de la vie des matières que je veux représenter.

L’expérience et le plein de techniques sont une nature chez toi, différents matériaux sont toujours présents dans ton oeuvre ainsi que l’importance de la matière et du relief. D’où te vient l’envie de toutes ces associations?

Je suis attirée par les choses dégradées, par le passage du temps, aussi bien météorologique que temporel, sur les matières. C’est une forme de vanité finalement. Je rends vivantes des choses qui paraissent mortes. J’aime ce qui grandit, et de pouvoir l’éclore à mon tour me plaît. J’ai une nostalgie et phobie du vieux, et ces associations me permettent de redonner vie à tous ces matériaux si beaux à mes yeux. L’importance est de mettre en avant un détail qui semble évident sur le moment.

Nous sommes aussi fan qu’intriguées par tes créations. Peux-tu nous donner les clés de ton processus?

Ne jamais se forcer, si je peins sans envie, la toile est automatiquement détruite et ça joue énormément sur mon moral, j’ai horreur d’être bousculée dans ma créativité, j’ai horreur d’avoir la pression du temps. Tout ce qui est des contraintes sont insurmontables pour moi, je préfère tout casser qu’avoir à gérer une contrainte. C’est assez dur à vivre, et source d’angoisse finalement. Ma démarche est toujours réfléchie, bien sûr, mais le résultat final est lui complètement instinctif. Ma réflexion apparaît seulement pendant la création.

Quand je commence quelque chose, je suis frustrée car je n’ai jamais voulu montrer ce que je faisais. Ton art en devient un si tu le partages, mais j’avais l’impression que la représentation de mon émotion, ce que je voulais partager n’était pas montré à la hauteur de me attentes. J’aurais besoin de faire quelque chose de monumental (un oeuf géant par exemple) quitte à l’intégrer entièrement afin qu’on ressente l’émotion que j’ai eu en le créant. je voudrais être satisfaite de mon travail à travers les autres.

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Quelle est ton approche à l’art? Quels sont les artistes qui t’inspirent?

Je me suis jamais intéressée à l’histoire de l’art car je n’avais aucune envie d’être influencée et conditionnée par des codes artistes. Je ne veux pas être touchée par l’histoire de l’artiste mais par ce qu’il représente. Je pense qu’il y a tout ce truc autour de l’artiste de gens qui veulent savoir « pourquoi ce tableau ». L’esthétique compte beaucoup pour moi, je ne comprends pas comment on peut faire quelque chose de laid, sans esthétisme aucun et être touchée. ça revient à l’Homme dans sa globalité, en fait. Mais c’est évidemment au delà d’un esthétique qui te touche que tu chercheras à creuser pour savoir ce qu’il y a derrière. C’est très subjectif.

Un jour, on a assimilé mes toiles à l’oeuvre de Gerhard Richter, un artiste que je ne connaissais pas. Et effectivement, l’oeil porte une certaine similitude à nos deux travaux. On a la même façon de peindre mais notre démarche est complètement différente ; je créé mes propres outils. Il y a plein de choses sur ma toile.

L’une des réelles inspirations humaines que j’ai eu est la personne que j’ai rencontré, qui est mon agent aujourd’hui. Il a changé la vision de mon art, sans lui je serai surement encore perdue dans mon schéma créatif. Aujourd’hui je vois clair dans mon avenir. Il est bienveillant et m’a donné confiance en moi.


Il y a une émotion et un sentiment évident dans ton oeuvre, c’est une sorte de représentation de ce que tu ressens face au monde, en fait.

Oui, la sculpture est pour moi une sorte de thérapie. Par exemple, mes premières sculptures de femmes étaient en fait ce que j’ai ressenti dans une partie de ma vie. Je me représentais telle que je me voyais, je me récréais à travers ma perception des autres sur moi. Comment les autres me voyaient, et la façon dont je l’avais perçu a reflété sur mes premières sculptures.

Pour ce qui est de l’oeuf blanc, le cocon a une forme et une matière sécurisante, dans son apparence. Il se veut pur, j’aurais du mal à recréer une émotion à travers lui. Mais, le fait d’avoir été fermée aux autres et ma perception des choses sur l’étranger en sont une représentation. Ce qui me dépasse m’effraie. L’oeuf serait à la fois fermé, rassurant, réconfortant, nourrissant, et n’aurait pas envie de grandir. Quand il s’ouvre, je me vois sortir de ce cocon dans quelque chose de vivant, de vert, beau, naturel, ou au contraire dans le monde dans lequel j’ai grandi, face à autrui. C’est un passage de l’éclosion à l’érosion. Le seul lien entre mes travaux est l’émotion que j’y ai mise.

Un mot “in a trice” ?

Art.

@elsaoudshoorn